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RDC/Rwanda : la guerre des renseignements selon Africa Intelligence

Redigé par Africa Intelligence
Le 13 mars 2023 à 10:49

Deux rapports du Service national de renseignement et de sécurité (NISS) du Rwanda font actuellement l’objet d’un examen sérieux dans les milieux diplomatiques.

Estampillés "confidentiels", ces documents datés du 7 février ont été discrètement remis par les services rwandais à des diplomates occidentaux triés sur le volet.

Les textes, particulièrement précis, décrivent le point de vue de Kigali sur les événements en cours dans l’Est de la RDC, qui opposent les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) aux rebelles du M23.

Depuis le début de la crise, les services rwandais ont concentré leur surveillance et leur analyse sur l’alliance entre des officiers supérieurs des FARDC et un ensemble de groupes armés, dont les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), formées au milieu des années 1990 par des génocidaires hutus.

Lien avec les FDLR

Ces rapports de renseignement, dont Africa Intelligence a pris connaissance, dévoilent les secrets d’un pacte signé au début de l’année 2022.

Officiellement démentie par l’armée congolaise, cette alliance FARDC-FDLR a été soigneusement documentée par les services rwandais, qui ont révélé des contacts directs entre les autorités politiques et militaires congolaises et des dirigeants des FDLR, dont le "général-major" Pacifique Ntawunguka, qui fait l’objet de sanctions imposées par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Le chef d’état-major des FDLR, Pacifique Ntawunguka, également connu sous son surnom de guerre, Omega, s’est entretenu en personne avec le gouverneur militaire de la province du Nord-Kivu, Constant Ndima Kongba, selon le NISS.

Les rapports des services de renseignement rwandais indiquent que lors d’un appel téléphonique le 19 juin 2022, Omega a demandé un paiement pour que ses combattants continuent à soutenir les FARDC dans le territoire de Rutshuru.

La somme demandée était de 300 dollars par soldat du Commando de Recherche et d’Action en Profondeur, l’unité d’élite des FDLR, dirigée par le "colonel" Ruvugayimikore Ruhinda.

Trois jours plus tard, faute de paiement, 45 de ces soldats, de la compagnie dirigée par le "Lieutenant" Noheli Nyiringabo, ont refusé de partir au front. Interrogé à ce sujet, le lieutenant général Ndima Kongba a parlé d’un "énorme mensonge".

Le NISS alerte Tshisekedi

Le NISS affirme que le commandement local de l’armée congolaise a fourni des armes, des munitions, des véhicules et des uniformes aux FDLR.

Des soldats des FDLR ont même traversé la frontière, déguisés en FARDC pour opérer depuis le sol ougandais lors de l’assaut du M23 à Bunagana en juin 2022.

Ce stratagème a également été utilisé par l’ennemi, non sans une certaine passivité du gouvernement ougandais de Yoweri Museveni (AI, 22/12/22).

Le 11 juillet 2022, une partie des renseignements sur la collusion entre les FARDC et les FDLR a été présentée au président congolais, Félix Tshisekedi, à Kinshasa.

Le chef du NISS, le général Joseph Nzabamwita, et le général de brigade Vincent Nyakarundi, chef du renseignement militaire, ont effectué une visite spéciale dans la capitale congolaise, comme l’a révélé Africa Intelligence (AI, 15/07/22).

Tshisekedi a répondu qu’il n’avait pas connaissance d’une telle alliance.

Cette réponse va cependant à l’encontre de la position qu’il a adoptée lors d’une réunion des Chefs d’Etats de la région en avril dernier, au cours de laquelle il a ouvertement admis l’existence de liens entre son armée et les FDLR.

Le 6 juillet, Tshisekedi a ordonné le transfert du général de division Peter Nkuba Cirimwami dans la province de l’Ituri. Précédemment responsable des opérations dans la zone de combat avec le M23 (Sokola II), Peter Cirimwami est soupçonné d’avoir orchestré la liaison avec les FDLR depuis le début de l’année 2022.

Le "Pacifique" reprend du service

Les FDLR sont une pomme de discorde entre Kigali et Kinshasa depuis l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi en 2019, qui a rapidement entamé un rapprochement spectaculaire avec son homologue rwandais Kagame.

Ce rapprochement diplomatique s’est traduit par l’envoi de troupes d’élite de la Force de défense rwandaise (RDF) en territoire congolais pour traquer et éliminer les leaders des FDLR.

En septembre 2019, le commandant suprême des FDLR, Sylvestre Mudacumura, a été abattu dans la nuit à la suite d’une opération qui aurait été menée par l’armée congolaise.

Plusieurs centaines de soldats des FDLR capturés et démobilisés ont également été transférés au Rwanda.

Au vu des résultats de cette coopération, Kinshasa estime avoir montré sa détermination à l’égard du groupe armé, considéré comme tellement affaibli qu’il n’est plus en mesure de déstabiliser le Rwanda.

Discrètement, des responsables des FARDC, dont certains sont farouchement anti-Kagame, ont maintenu des liens avec des dirigeants des FDLR.

Deux ans plus tard, en 2021, au début de la crise avec le M23, ces réseaux ont été discrètement réactivés pour remédier aux faiblesses de l’armée congolaise dans l’Est de la RDC.

Le NISS a découvert que, fin janvier 2022, le commandant militaire des FDLR, Pacifique Ntawunguka, avait retrouvé son poste.

Le pacte de Pinga

D’abord, Ntawunguka a obtenu le soutien de certaines autorités locales du territoire de Rutshuru, selon le récit des services de renseignement rwandais, confirmé par plusieurs sources diplomatiques.

Ensuite, le 3 février 2022, le chef de guerre a rencontré le gouverneur militaire Constant Ndima Kongba au camp militaire de Rumangabo, ainsi que le général Sylvain Ekenge, porte-parole des FARDC, et plusieurs officiers chargés du renseignement dans la région.

Quelques jours plus tard, une cinquantaine de combattants FDLR ont été déployés à Kibumba, en étroite collaboration avec un officier supérieur des FARDC.

Encore embryonnaire, cette collaboration a commencé à se concrétiser les 8 et 9 mai à Pinga, lors d’une réunion à laquelle ont participé plusieurs représentants de groupes armés.

Outre les FDLR, des responsables de l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS), du NDC-Rénové (NDC-R) et du Maï-Maï Nyatura ont participé à cette réunion.

Organisée par Peter Cirimwami, elle aboutit à un pacte de non-agression et à la création d’une coalition pour lutter contre le M23 aux côtés des FARDC, qui ont fourni des équipements militaires.

Les FDLR en profitent

D’autres réunions entre des responsables des FARDC au Nord-Kivu et des dirigeants des FDLR - ainsi que leurs forces spéciales du Commando de recherche et d’action en profondeur - ont été documentées par les services de renseignement rwandais, ainsi que par l’ONU et sa mission en RDC, la MONUSCO.

Parmi les orateurs confirmés figuraient le gouverneur militaire Constant Ndima, Peter Cirimwami des FARDC, ainsi que le colonel Salomon Tokolonga, ancien officier de renseignement de l’opération Sokola II, aujourd’hui commandant du régiment 3410 déployé à Masisi, où les FDLR disposaient d’un centre d’entraînement.

Pendant la crise, les FDLR ont profité de la faiblesse des FARDC et de l’incapacité du gouvernement rwandais à les éliminer.

Auparavant petit et miné par les désertions, le groupe armé a réussi à vendre ses services à l’armée congolaise et s’est progressivement renforcé.

Selon Kigali, le groupe compte entre 2 000 et 2 500 soldats, auxquels s’ajoutent plusieurs centaines de nouveaux membres recrutés ces dernières semaines.

Ces estimations sont bien plus élevées que celles des Nations unies, qui estiment leur nombre à environ 1 500 soldats, dont seulement 250 sont aptes au combat.

Le M23 gagne et se développe

Si les capacités militaires réelles du groupe restent discutables, les services de renseignement rwandais le considèrent toujours comme une menace sérieuse pour la sécurité nationale.

Le NISS était particulièrement préoccupé par la capacité du groupe à commettre des attentats lors du sommet des 54 pays du Commonwealth qui s’est tenu à Kigali en juin dernier.

Pour prévenir un éventuel incident, une force spéciale a été déployée le long de la frontière avec la RDC.

Cette "coalition" combat pour l’instant le M23 aux côtés des FARDC, mais elle n’a pas réussi à freiner la montée en puissance du mouvement rebelle. Kinshasa a accusé Kigali d’accroître et de capitaliser la menace des FDLR, tandis que Kigali a reproché à Kinshasa d’être trop concentré sur le M23.

Le mouvement rebelle a consolidé ses positions et a infligé une série de défaites aux forces armées congolaises - qui n’ont pas participé aux combats - et à leurs troupes de soutien, qui comprennent désormais des combattants roumains ayant appartenu à la Légion étrangère française (AI, 06/01/23).

Officiellement affectés à la formation des FARDC, ils ont été vus à leurs côtés lors d’affrontements fin février contre le M23 dans les environs de Sake, une ville du territoire de Masisi à l’ouest de Goma.

Kinshasa dans le noir

La faiblesse des FARDC se double d’une capacité de renseignement particulièrement limitée, tant de la part des services de l’armée (ex-Détection militaire des activités anti-patrie, DEMIAP) que de l’Agence nationale de renseignement (ANR) et de la Direction générale de migration (DGM).

Leurs patrons, notamment Jean-Claude Bukasa, chef du Conseil national de sécurité (CNS), et Jean-Hervé Mbelu Biosha, chef de l’ANR, sont régulièrement critiqués par leurs homologues de la région des Grands Lacs et de l’Ouest.

Les services de renseignement congolais souffrent d’un manque de compétences, de contacts dans la région, de capacités de traitement du renseignement collecté et de moyens technologiques, ce qui limite leur capacité à fournir des informations stratégiques aux autorités politiques.

En conséquence, les autorités politiques et militaires de Tshisekedi s’appuient sur les renseignements humains et techniques produits par la MONUSCO pour planifier une offensive militaire (AI, 27/01/23).

La mission de l’ONU, souvent exclue des décisions politiques et militaires stratégiques, s’est révélée indispensable.

Ce sont les drones de l’ONU qui ont permis, dès le début de la crise, de documenter la présence des troupes des RDF aux côtés du M23.

Ces preuves ont été transmises au groupe d’experts de l’ONU, puis utilisées par le gouvernement congolais pour étayer ses accusations contre le Rwanda, tant dans les milieux diplomatiques que médiatiques.

Les Nations Unies mises à jour

De son côté, la Mission permanente du Rwanda auprès de l’ONU a présenté un dossier confidentiel au Conseil de sécurité le 23 décembre.

Ce document de 10 pages, dont Africa Intelligence a pris connaissance, identifie les activités de la RDC considérées comme "hostiles" aux Tutsis congolais et plus largement à Kigali.

La diplomatie rwandaise a joint au dossier des organigrammes établis par le NISS et datés du 9 décembre, qui montrent les structures de commandement des FDLR et géolocalisent leurs chefs en RDC, ainsi que leurs centres d’entraînement.

Les services de renseignement rwandais ont également partagé des informations confidentielles sur les milices rebelles, telles que le RUD-Urunana et la Force pour la protection du peuple hutu (FPPH).

Pour étayer ses arguments, Kigali n’a pas hésité à révéler ses capacités de surveillance, voire d’intervention, sur le territoire congolais.

Dans cette guerre diplomatique, le renseignement est devenu un outil important pour renforcer l’apparence de faits concurrents dans l’espoir d’imposer les siens.

Les partenaires occidentaux, soumis à des pressions pour prendre ou éviter des positions, se trouvent obligés de trouver un équilibre impossible.

Le M23 a essayé des tactiques similaires. En marge de la visite du Pape François à Kinshasa en janvier, un émissaire a été envoyé par la direction politique du mouvement à Rome pour délivrer un message sur la situation du conflit et sa version des causes sous-jacentes, qu’elle attribuait à Tshisekedi.

A l’inverse, ce dernier avait utilisé la visite du Pape comme une nouvelle tribune pour pointer du doigt le Rwanda.

Au grand dam du gouvernement congolais, la brève visite du président français Emmanuel Macron, début mars, n’a pas été accompagnée d’une déclaration de soutien.

Le voyage a été étroitement surveillé par Kagame, ses services de renseignement travaillant avec la DGSE, et son ministre des affaires étrangères, Vincent Biruta, qui l’a fait savoir à l’Élysée.

Paris, qui s’est beaucoup rapproché de Kigali, a plutôt privilégié le soutien aux initiatives de l’Union africaine (UA) et de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE).

Des puissances régionales comme l’Angola de Joao Lourenco - médiateur entre Kinshasa et Kigali qui a établi des contacts directs avec les dirigeants du M23 - sont préférées à l’administration Tshisekedi, jugée fragile et défaillante.

En position de force militaire, le mouvement rebelle aux motivations politiques réclame à nouveau un "dialogue direct" avec le gouvernement congolais, qui le considère comme une organisation "terroriste".


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